Avec l'interdiction de l'abattage rituel juif en Pologne, le debat sur ce sujet ressort de nouveau, avec parfois des relents antisemites qui rappellent une sombre histoire, celle qui a precede la shoah, entre autres. (voir l'article sur le sujet en cliquant : ICI ). Mais qui sait ce qu'est l'abattage rituel juif, quelles en sont les valeurs et pourquoi il existe ? Il est temps de faire un point pour mieux comprendre, et peut-etre que certains devraient se poser des questions simples comme : est-il bien de tuer pour se nourrir ? Et si oui, y a t-il une methode meilleure qu'une autre ? Si vous pensez que oui alors faites un tour dans les abattoirs juifs, et les autres, et demandez vous : ou y a t-il le plus de souffrance, et dans quelle methode d'abattage il y a le plus de morale, d'ethique et de respect de la vie sacrifiee.
L’abattage rituel juif est souvent décrié, pour ne pas dire condamné par des personnes bien intentionnées, mais très mal informées. Mal connue des non-Juifs, la shehita (abattage rituel juif) est une technique décrite et codifiée de manière très précise dans la Torah (Loi), et imposée au peuple juif comme seul mode possible d'abattage des animaux. La shehita est fondée sur un principe constant de la Torah : le respect de la vie animale, de l’animal lors de l’abattage, et de ne pas banaliser sa mort. Dans ce domaine, le judaïsme est allé très loin dans le profond respect de l’animal et dans la prise en compte de sa souffrance.
Les bases religieuses de la shehita
La prescription de la shehita apparaît dans le Pentateuque (loi écrite). Ses modalités pratiques sont précisées dans la Michna (loi orale) constituée par un ensemble de commentaires sur le texte écrit. Ces deux lois, écrite et orale, ont été transmises à Moïse par l'Eternel au Mont Sinaï. Elles ont une valeur absolue, et par essence, elles sont transcendantes.
Consommer des protéines d’origine animale (viande, lait, poisson, oeufs) est un besoin biologique de l'homme : “ Tu diras : je veux manger de la viande, désireux que tu seras d’en manger, tu pourras manger de la viande selon tes désirs... Tu pourras tuer de la manière que je t’ai prescrite, de ton gros ou menu bétail que l’Eternel t’aura donné et en manger dans tes villes comme il pourra te plaire” (Deutéronome XII, 20, 21). Au lieu d'assouvir directement son besoin, l'homme se soumet à la loi divine. En abattant et en préparant rituellement sa viande, l’homme reconnaît que se nourrir n’est jamais anodin, et implique un acte grave : la mise à mort d’un animal. La shehita est l’élément essentiel de cette démarche.
Si la Torah reconnaît à l’homme le droit de tuer des animaux pour se nourrir, elle lui demande deux choses essentielles :
- respecter la dignité des animaux, de leur vivant et jusqu’après leur mort ;
- limiter au mieux leur souffrance et leur stress au moment de leur mise à mort.
A noter qu'avant de pratiquer l'abattage, le shohet recite la benediction sur l'abattahe : "Beni sois tu mon D.ieu, qui nous as sanctifie par Tes commandements et nous as ordonne la shehite".
Le commandement du respect de la dignité de l’animal et la sollicitude à son égard apparaissent à de nombreuses reprises dans la Torah et sous la plume des commentateurs, par exemple :
- Interdiction de museler le boeuf pour l'empêcher de se nourrir durant son travail aux champs (Deutéronome XXV,4) ;
- Repos obligatoire des animaux le shabbat (Exode XX,10) ;
- "Si tu vois l'âne de ton ennemi succomber sous sa charge, garde-toi de l'abandonner, aidele au contraire à le décharger" (Exode XXIII,5).
- "L'interdiction de faire souffrir un être vivant est un ordre de la Torah" (Talmud, traité Baba Metzia 32b) ;
- Obligation de nourrir les animaux avant de prendre son repas (Guitine 62a) ;
- Interdiction d'atteler ensemble un boeuf et un âne car leurs forces et leurs allures sont différentes (Commentaire de Ibn Ezra sur Deutéronome XXII,10) ;
- Interdiction de la chasse comme loisir (Noda Biyeouda de Rabbi Ezechiel Landau -1713 - 1793-, tome 1, question 10) ;
- Interdiction de la castration (commentaire Even Hauzer V,11).
La mise à mort d’un animal doit s’effectuer de manière à lui éviter au maximum souffrance et stress :
- Interdiction de l'abattage d'un veau et de sa mère le même jour (Levitique XXII, 28) ;
- Obligation de l’abattage rituel (Deutéronome XII, 20, 21).
Ce respect se prolonge au-delà de la mort de l’animal, dans la préparation et la consommation de la viande (kacherout). Ainsi, par exemple, l’homme ne doit pas consommer de sang, principe de vie, et porteur, selon la tradition du nefech, du souffle de vie :
-"Car le principe vital de la chair gît dans le sang " (Levitique XVII, 11) ;
-"Mais évite avec soin d'en manger le sang, car le sang c'est la vie, et tu ne dois pas absorber la vie avec la chair" (Deuteronome XII,23) ;
-"Aucune créature, tant que son sang maintient sa vie, vous n'en mangerez" (Genèse IX, 4) ;
- Rachi (Rabbi Salomon, fils d'Isaac de Troyes 1040-1105) explique que le sang de l'animal constitue son "principe de vie", puisque sa vie en dépend (commentaire de Rachi, Levitique XVII,14).
On peut noter que la physiologie moderne nous apprend que grâce à l’oxygène qu’il transporte, le sang permet la production de l’énergie nécessaire à la vie de l’organisme, jusque dans la paroi des mitochondries.
Le shohet (abatteur rituel)
Depuis 1964, tout abattage rituel d'animaux de boucherie doit être pratiqué par un shohet (abatteur rituel) habilité à la fois par la Commission Rabbinique Intercommunautaire et par le Ministère de l'Agriculture (décret n°64-334 du 16 avril 1964). Une circulaire datant du 28 décembre 1970 (DSV n°1246-C), puis précisée le 25 décembre 1978 (DQ/SVHA/C-78 n°157C) a permis la mise en place d'une carte spéciale semestrielle de couleur, délivrée au shohet par la Commission Rabbinique Intercommunautaire (Consistoire Central Israélite de France et d'Algérie) et enregistrée par la Direction Départementale des Services Vétérinaires (Ministère de l'Agriculture).
Le Traité Houlin du Talmud de Babylone indique que tout homme majeur, versé dans les lois de la shehita, en pleine possession de ses facultés physiques et intellectuelles peut abattre rituellement (Houlin 2a). En 1220, un synode rabbinique en Allemagne décide que pour exercer, tout shohet doit recevoir, après examen, une kabbala, (aptitude à abattre). Puis le traité Yoré Déa du Choulhan Arouh (Code de lois rédigé par Rabbi Yossef Caro, paru à Venise en 1565, puis annoté par Rabbi Moché Isserles de Cracovie) prévoit les critères d'obtention de la kabbala :
- des aptitudes physiques,
- une parfaite conaissance des règles, nombreuses et complexes de la shehita,
- des qualités morales et de fidélité sincère à la Torah.
Le Tribunal Rabbinique effectue des contrôles permanents de l’aptitude du shohet. Toute faute peut entraîner un retrait temporaire de la kabbala, une faute morale entraînant un retrait définitif. Même expérimenté, un shohet doit réviser en permanence les enseignements théoriques de la shehita.
L'abattage rituel doit impérativement être pratiqué dans un abattoir, et s’effectue dans les mêmes locaux que l'abattage non rituel. Un contrôle permanent de tous les animaux abattus - rituellement ou non- y est effectué par les Vétérinaires-Inspecteurs et les Techniciens des Services Vétérinaires chargés du contrôle de salubrité au sein des abattoirs. Il n'existe pas d'abattage rituel juif clandestin. Aucune plainte concernant l'hygiène de l'abattage rituel juif n'a été déposée à la Direction des Services Vétérinaires depuis la parution du décret de 1980.
Il faut noter que depuis 1994, des dispositions analogues entourent l’abattage halal pratiqué selon la loi musulmane : les abatteurs doivent être agréés par le Préfet.
La shehita et la limitation de la souffrance animale
La shehita ayant été le mode d'abattage le plus contesté en Europe, elle a eu le privilège d'être le plus étudié par les scientifiques d'Europe, d'Amérique et d'Israël depuis un siècle. Il n’est pas aisé d’évaluer la souffrance d’un animal. L’absence de mouvements de la bête peut être due à une paralysie sans perte de conscience. A l’inverse, un saignement violent et rapide, des mouvements d’origine réflexe et souvent désordonnés, pour impressionnants qu’ils soient, ne signifient pas que l’animal soit conscient ou ressente une douleur. Les scientifiques ont donc eu recours à des critères physiologiques, physicochimiques et chimiques. De nombreuses mesures ont été effectuées sur des bovins et des ovins.
L'incision franche avec un objet tranchant parfaitement aiguisé ne fait pas ressentir la douleur immédiatement. Chacun a déjà pu observer que lorsque nous nous coupons avec un objet bien aiguisé, nous ne ressentons la douleur qu’après un certain laps de temps, même lorsque la coupure concerne une région fortement innervée comme le doigt . De plus, l’incision du cou telle qu’elle est pratiquée dans la shehita n'intéresse qu'une région très faiblement innervée, ce qui contribue encore à éviter la douleur chez l’animal pendant l'incision.
Effectivement, au moment de l’incision, le taux d’adrénaline sanguin et la glycémie, paramètres chimiques augmentant lors du stress, sont moins élevés chez les animaux abattus selon la shehita que chez des animaux abattus selon d’autres procédés (Ruckebusch 1977, Luc 1983). Une étude effectuée sur des bovins montre que l’électroencéphalogramme (EEG) avant et immédiatement après l’incision est identique ; on ne détecte aucune modification du tracé témoignant d’une quelconque douleur liée à l’incision. Lors d’un abattage avec étourdissement préalable, il y a au contraire, au moment de l’incision, une augmentation systématique de l’activité cérébrale, apparente sur l’EEG (Schulze 1978 cité par Koginski 1982).
Par la suite, en 4 à 10 secondes après la shehita, un état d’inconscience est détecté à l’EEG. En 13 à 23 secondes, l’EEG est plat. Lors d’un abattage après étourdissement, l’EEG plat n’est atteint que plus lentement (Schulze 1978 cité par Koginski 1982). Cette différence s'explique par les effets de la shehita sur l’organisme, qui ont été étudiés par des physiologistes de renom. Plusieurs facteurs indiquent que la shehita provoque une anoxie (manque d’oxygène) très rapide des cellules nerveuses du cerveau ; le cortex, centre de la douleur, cesse donc de fonctionner :
- Instantanément, la section par le shohet des veines jugulaires et des artères carotides provoque une diminution de pression du liquide céphalo-rachidien. La principale fonction de ce liquide étant de maintenir une certaine pression au niveau du cerveau, il y a perte de conscience au bout de 3 à 5 secondes, conséquence de l’anoxie cellulaire (Levinger 1976).
- Les mesures de la pression sanguine dans l'artère maxillaire interne montrent qu’elle chute à zéro en moins d'une seconde après l'incision. Dans les 3 secondes, il en va de même dans l'artère vertébrale. Ces deux artères étant les seules à irriguer le cerveau, le cortex, centre de la douleur, s’arrête rapidement de fonctionner (Lieben 1925 ; Spörri - Chaire de Physiologie de l’Université de Zürich, 1965 ; Dukes 1968 cité par Koginski 1982 ; Levinger 1979).
- Cet effet physiologique est encore renforcé par la position sur le dos de l’animal, qui entraîne une stagnation du sang veineux dans les vaisseaux et les tissus avant la saignée : ceci a pour effet d'accélérer encore l'anoxie des cellules nerveuses du cerveau.
Lors de la shehita, immédiatement après l’incision, apparait une phase de repos où la respiration peut même s’arrêter. Cette phase dure 8 à 150 secondes (Levinger 1976). La poursuite de la respiration et des battements cardiaques sont sans influence sur la douleur, dès lors qu’il y a eu section des artères irriguant le cerveau. Parfois apparaît une phase de respiration lente et profonde, avec des mouvements incoordonnés et des contractions musculaires épileptiformes, qui durent en moyenne 70 secondes. Ces myoclonies ne sont pas toujours observées. Lorsqu’elles surviennent, c’est après 14 à 42 secondes. La phase de repos est alors très courte (8 à 14 secondes).
L'observation de ces mouvements est à l'origine de controverses sur la shehita. Ces contractions sont des secousses convulsives d’ordre mécanique. Elles surviennent à un moment où l'animal est inconscient, et malgré leur caractère impressionnant elles sont exclusivement de nature réflexe et non conscientes1 (voir les travaux des Professeurs de Physiologie animale : Mangold -Directeur de l’Institut de Physiologie animale de l’Unversité de Berlin ; Bethe -Université de Francfort ; Krogh -Université de Coppenhague, prix Nobel ; Magnus -Université d’Utrecht ; Barrier -Membre de l’Académie Vétérinaire, tous cités par Berdugo 1973).
Les aspects sociaux de la shehita
La shehita constitue l'un des piliers des sociétés juives traditionnelles (nombre de patronymes ashkénazes, comme Schächter, Schechter, Reznik, etc. en sont dérivés), elle seule leur permettant de garantir la conformité des viandes rouges et blanches aux normes de la Loi juive. Dès le xiie siècle, certaines communautés espagnoles prélevaient un impôt volontaire pour financer le shohet et la shehita ; cet usage s'est ensuite répandu en Europe de l'est.
Actuellement, la shehita n'est pratiquée qu'à grande échelle, dans des abattoirs appartenant à des firmes de commercialisation de viande (certains revendent néanmoins une partie de leurs produits sur le marché non-juif). Elle fait l'objet de contrôles stricts de la part des organismes rabbiniques, lesquels s'impliquent tant dans la formation des abatteurs que dans la bonne tenue des abattages. En Israel, la shehita est supervisée par le Grand Rabbinat au service de l'État ; la cacheroute glatt est contrôlée par plusieurs sociétés privées ultra-orthodoxes. Il en est de même en France et ailleurs, où l'abattage « de base » est supervisé par l'organisme central (Consistoire central, National Council of Shechita Boards, etc.) et l'abattage glatt par des sociétés privées.
Pour conclure
La shehita est parfois associée à l’image d’un procédé barbare, voire d’un acte gratuit, faisant souffrir les animaux au nom d’un fanatisme religieux. La Suisse et la Suède ont même interdit l’abattage rituel. Cette image provient d’une méconnaissance totale des principes et des implications de la shehita, qui sont à l’opposé de ces accusations.
Les mesures effectuées par de très nombreux Professeurs de Physiologie animale de différents pays arrivent toutes à la conclusion qu'il y a absence de signes de souffrance lors de la shehita, du fait d'une perte de conscience quasi-immédiate. D'après certains auteurs, la shehita serait même le meilleur procédé, les techniques d'étourdissement généralement utilisées pouvant être très traumatisantes. Toute controverse quant à la violence de la saignée ou aux mouvements réflexes de l'animal pouvant survenir lors de la shehita n'a aucune base scientifique.
L'homme est au sommet de la Création, car il est par essence supérieur aux autres créatures. C’est sa supériorité qui lui permet, par son aptitude à penser, de limiter au maximum la souffrance des animaux. Pour les Juifs, si ses besoins physiologiques amènent l’homme à consommer de la viande, cette consommation est soumise à des règles très strictes, qui lui rappellent que la nature ne lui a pas été donnée sans condition, et qu’il en est le gardien (Genèse 1, 29). La mise à mort de l'animal ne peut se faire que par la shehita, dont la codification précise est sous-tendue par les notions fondamentales de respect de l'animal et de nécessité de limiter sa souffrance.
Article redige a l'aide des sources suivantes :