En permettant aux réfugiés palestiniens en Syrie de manifester en masse à la frontière du plateau du Golan, occupé (d'apres l'auteur de l'article, avis que le proprietaire de ce blog ne partage evidemment pas) par Israël depuis 1967, le régime de Damas cherche à détourner l'attention de la politique répressive qu'il mène contre le mouvement de contestation.
Soudainement, comme par enchantement, les réfugiés palestiniens de Syrie retrouvent une liberté d'action et d'expression longtemps confisquée, redécouvrant, ébahis, le chemin menant à leur terre usurpée. Soudainement, sur un coup de baguette baasiste [Baas,le parti au pouvoir en Syrie], le Golan redevient le passage obligé vers la libération [les Palestiniens commémoraient le 15 mai la Nakba (catastrophe), voir ci-contre], le plateau de tous les combats, de toutes les fuites en avant. Un développement qui arrive à point nommé alors que la machine répressive syrienne tourne à plein rendement.
La situation syrienne est doublement tragique parce que basée sur un double mensonge : le régime veut faire croire qu'il est prêt à lancer le chantier des grandes réformes et l'Occident fait semblant de croire que le clan Assad, acculé dans ses derniers retranchements, se résoudra à donner satisfaction à l'opposition.
Or, tous savent pertinemment que l'enclenchement du processus de réformes signifie à terme la disparition du pouvoir baasiste, de privilèges acquis au fil de décennies d'une dictature impitoyable transmise de père en fils, d'oncle à neveu, de requins de la finance à piranhas des affaires juteuses. Levée de l'état d'urgence, liberté d'expression, presse diversifiée, multipartisme, élections législatives libres : il y a là de quoi donner des sueurs froides aux caciques du régime, rendre insomniaque une nomenklatura qui ne tient que par la force des baïonnettes, par l'omniprésence d'un appareil sécuritaire qui fait le bonheur des bourreaux qui régissent les nombreux bouges carcéraux.
Double mensonge donc, double déni des réalités nouvelles : de Deraa à Homs, de Lattaquié à Hama, de ville encerclée à localité « pacifiée » à coups d'obus, les dizaines de milliers de manifestants qui tiennent quotidiennement le haut du pavé signifient ainsi au monde entier qu'ils ne sont pas dupes des promesses qui leur sont faites, qu'ils ne mordent plus à un hameçon définitivement disqualifié.
Les pays occidentaux ont, jusqu'à l'éclatement de la révolte [le 15 mars], fermé les yeux sur les abus du régime syrien, sur les atteintes répétées aux droits de l'homme et accepté sans sourciller les arrestations systématiques de militants de la société civile. Peuvent-ils encore miser sur un régime qui les a sans cesse menés en bateau et franchement neutralisés par le chantage à la déstabilisation, qu'il s'agisse du Liban ou de l'Irak, du processus de paix avec Israël ou du danger islamiste ?
Une realpolitik à laquelle a clairement fait allusion Rami Makhlouf, un proche de Bachar El-Assad, lorsqu'il a laissé entendre, dans une interview à un journal américain [The New York Times du 10 mai], que seule la Syrie baasiste immunisée contre les tornades révolutionnaires peut garantir la paix avec Israël et donc fournir à l'Occident les assurances souhaitées... Faute de quoi, c'est l'engrenage fatal pour tous, un scénario catastrophe aux frontières de l'Etat hébreu, dont un avant-goût a été donné le 15 mai sur le Golan et à Maroun Al-Ras [l'armée israélienne a tiré sur les manifestants palestiniens], côté libanais, avec la bénédiction du Hezbollah.
De toute évidence, entre des réformes réelles qui conduiraient à sa perte et des concessions qu'il consentirait à l'Occident pour espérer se maintenir au pouvoir (qu'il s'agisse de ses relations avec l'Iran ou des fournitures d'armes au Hezbollah), le régime baasiste serait bien tenté de privilégier la seconde option. Pragmatisme oblige... pérennité du clan familial aussi !
L'imposture passera-t-elle une fois de plus ? Difficile de l'envisager alors que le sang coule toujours en Syrie et que la répression sanglante révèle chaque jour un peu plus la forfaiture d'un système pourri.
L'heure n'est plus à des réformes hypothétiques, à des promesses impossibles à tenir, mais à un changement radicalqui ramènerait la Syrie dans le concert des nations libres. Un changement qui donnerait enfin au Liban un voisin fréquentable, facteur de stabilité et non de nuisance délibérée.
Nagib Aoun Pour L'Orient-Le jour repris sur http://www.courrierinternational.com/