Je pensais partir pour un voyage post-doctorat pour une periode de deux ou trois ans. Les enfants, le travail, un divorce et le reve israelien s'est eloigne. Si tu es arrive ici et que tu te demandes si tu dois rentrer, alors saches que ton temps est compte. Regardes moi. C'est toi dans 20 ans avec une chance de retour equivalente a zero.
Par Giora Gripel
La theorie du chaos nous apprend qu'un battement d'ailes de papillon en Inde peut aboutir a une tempete a l'autre bout du monde. Mon battement d'ailes a eu lieu il y a 23 ans. J'etais cloue au lit apres un accident de velo qui m'avait casse la jambe gauche. Le telephone a sonne en pleine nuit, et au bout du fil il y avait une voix lointaine qui me parlait en anglais "Mr Gripel, je suis le professeur Jennings de l'universite de CALTECH - California Institute of Technology. Je suis heureux de vous annoncer que vous avez remporte une bourse d'etudes pour le financement de vos travaux de post-doctorat au sein du groupe de recherche du professeur Amnon Yariv".
C'etait en 1989. Quelques mois avant j'avais fini d'ecrire mon travail de doctorat a la faculte d'ingenierie de l'universite de Tel-Aviv. J'ai fini mes etudes avec une mention d'excellence. Le professeur Yariv, une personnalite reconnue et appreciee au niveau mondial (il y a deux ans il a recu la medaille de la science nationale des mains du president des Etats-Unis), est un israelien qui a immigre en Amerique il y a plusieurs annees, il etait a la tete d'un des meilleurs groupes de recherche du monde dans son domaine : l'electro-optique et les lasers dans le service de physique pratique. Apres notre premiere rencontre il me proposa de le rejoindre au sein de son groupe pour poursuivre mes travaux de post-doctorat.
La communication telephonique etait porteuse d'une assurance extraordinaire. Ma future carriere academique semblait plus assuree et flamboyante que jamais. Deux ou trois ans a CALTECH qui me tendait les bras, et apres ca les meilleurs instituts d'Israel.
Apres deux ans au Etats-Unis avec ma famille - ma femme, mon fils Matan qui est ne en Israel et ma fille Noa qui est nee la-bas - le travail acharne autour de l'horloge deboucha sur un nombre respectable de publications et d'avancees scientifiques. Cette periode fut intensive et dramatique car entre-temps mes parents vieillir et furent hospitalises a plusieurs reprises, et je me suis retrouve dans la position d'un travailleur et d'un voyageur infatigable.
Je pensais avoir fini mon exil quand j'ai decroche le telephone pour appeler le chef du service electronique de l'universite de Tel-Aviv. C'etait ma place naturelle, c'est en tout cas ce que je pensais, je pensais qu'ils me prendraient a bras ouverts, moi le fils prodige. Le chef de service, avec lequel j'ai ecrit des articles en collaboration par le passe, a tres vite refroidi mon enthousiasme : "est-ce que tu es membre de l'academie royale des sciences ?", m'a t-il demande avec cynisme, "la semaine derniere nous en avons refuse deux comme ca, nous sommes submerges de postulants qui ont fait leur alyah de Russie depuis l'ouverture des portes". J'ai recu la meme reponse de plusieurs autres universites. "Restes au Etats-Unis", me proposa le plus optimiste d'entre eux, "rejoins le corps professoral d'une universite existante, et essaie de nouveau dans quelques annees".
J'ai navigue dans une course pour la survie
Le battement d'ailes d'un papillon a des consequences que l'on ne peut pas prevoir, et pire encore, sur lesquelles on ne peut revenir. Pendant les annees qui ont suivies j'ai rejoins l'universite de polytechnique en tant que professeur. Ils m'ont promu professeur membre. Je me suis investi intensement dans mon travail pour faire face au besoin constant de recevoir des subventions, d'etre excellent, et d'etre titulariser. Lentement mais surement j'ai navigue dans une course pour la survie, j'ai achete une maison, j'ai pris un credit, les enfants ont grandi, et avec eux les depenses. Le domaine dans lequel je travaillais, l'electro-optique et la communication est devenu tres demande. Le developpement du monde de l'internet et de tout ce qui l'accompagne a amene le monde de la communication avec lui.
La pression economique de ma maison a augmente et c'est pour cette raison que sept ans apres avoir rejoint l'universite j'ai demissionne et j'ai ouvert une societe. De nouveau ce fut une course folle pour obtenir des subventions, des contrats, developper des produits. Les murailles se sont elevees avec les dettes et les obligations, et l'idee du retour en Israel se fit de plus en plus complexe et eloignee. La derniere desillusion me tomba dessus quelques annees plus tard. La pression, la tension et le burning-out firent leur travail, et apres dix ans de vie en commun et de construction nous avons decide - ma femme et moi - de divorcer. Si jusque la je pouvais phantasmer mon retour en Israel, apres mon divorce il etait clair que meme si je rentrais, mes enfants resteraient la-bas - chose qui n'etait meme pas imaginable. La vie a continue, la bulle de l'internet a explose et a entraine derriere elle l'industrie qui la soutenait. J'ai ferme mon affaire et en ai ouvert une autre. Entre temps je me suis remarie et j'ai eu deux enfants, des filles supers. Les enfants de mon premier mariage grandirent et allerent au college.
La pression economique ne s'arreta pas la et augmenta meme avec Le paiement de la pension, l'aide a mes enfants et le financement de leurs etudes, qui ne sont pas, comme tout le monde le sait, les plus modestes du monde en Amerique. je n'ai pas eu le choix ni le temps de pleurer sur mon sort. L'echec n'etait pas possible. Il y avait trop de gens dependants de moi. Mes parents sont devenus vieux et sont morts. Je n'etais pas a leurs chevets quand ils ont ferme les yeux. Ma chere soeur a fait ca pour moi mais la douleur et le sentiment de culpabilite que j'ai ressenti a ce moment la m'accompagneront pour l'eternite. Israel et le lien avec elle se firent plus lointains jusuqu'a etre mis a l'ecart dans les profondeurs de la conscience. Mais pas les manques.
On nous considere comme des traitres
La complexite de mon histoire d'immigration ne m'est pas unique. Pendant toutes ces annees j'ai rencontre des centaines d'israeliens avec des histoires diferentes mais avec le meme denominateur commun. Le voyage pour ce travail post-doctorat a peut-etre ete remplace dans certains cas par un travail d'envoye pour une societe, des etudes ou un complement d'etudes, un voyage en Amerique du sud avec un arret aux Etats-Unis pour s'en remettre. Mais le retour n'a pas toujours ete simple ou trivial.
Des milliers d'israeliens vivent a travers le monde, des gens qui ont des qualites exceptionnelles. Des chercheurs et des enseignants, des scientifiques, des academiciens, des ingenieurs, des medecins, des chirurgiens, des musiciens, des artistes et des createurs, des industriels et des independants, certains ont une renommee mondiale et une specialite unique. L'immigration n'est pas specifique aux israeliens ou au peuple juif. Partout ou tu vas tu trouves des communautes d'immigres : chinatown, little italia, little bombay, il y a des quartiers de chinois, d'italiens, d'indous, de coreens, de pakistanais, et meme d'israeliens. Mais deux choses sont specifiques aux israeliens :
1. La premiere chose est le ressentiment qu'ont les israeliens (pas tous) envers les israeliens qui ont immigre, un sentiment de rejet et de colere contre ceux qui ont abandonne le pays et ont laisse les autres se debrouiller avec la tension et les difficultes au jour le jour. Je vis cela presque a chaque fois que je repond a un article de Ynet. Au lieu de s'interesser aux idees que j'exprime, je recois des reponses du genre "tais-toi, tu n'as pas le droit a la parole", et "restes la-bas, qui a besoin de toi". Cette reaction n'existe dans aucun autre groupe d'immigres. Quand j'ai demande a des taiwanais, des indous, des francais ou des libanais si dans leurs pays on les considerait comme des deserteurs ou des gens du genre traitres, ils n'ont pas compris de quoi je parlais.
2. La deuxieme chose c'est le manque puissant que ressentent les immigres israeliens envers "la maison". Je ne connais presque pas un israelien qui ne lit pas ardemment tous les jours en ligne les derniers evenements qui se sont deroules en Israel. Quand je rentre chez nombreux d'entre eux l'ordinateur est ouvert sur une des radios qui diffusent sur internet et joue de la musique israelienne authentique a longueur de temps.
Je veux dire aux israeliens installes en Israel : tout n'est pas rose de l'autre cote de la mer, la lutte pour la survie est la meme partout, la realite economique est dure et stimulante dans tous les pays. La recession des dernieres annees n'a pas disparue pour un autre pays, l'augmentation des prix, les licenciements, le chomage galopant, la tension sociale, le crime, la violence, tout ca existe partout ou on va. La majorite des israeliens qui vivent en dehors des frontieres du pays ne sont pas arrives ou ils sont car "ils en avaient marre d'Israel", mais ils ont decide d'immigrer. Ce qui les a amene ici, ou ailleurs, c'est une decision aleatoire qui semble manquer de sens critique au meme moment, le battement d'aile du papillon qui les a sorti de leur vie il ne pouvaient pas le prevoir. Ils sont israeliens au plus profond de leur ame et jusqu'au bout des ongles. La plupart d'entre eux sont extremement talentueux. Ils sont les representants d'Israel, ils donnent pour elle, ils envoient leurs enfants a la decouverte de leurs racines en Israel, ils sont en contact journalier avec le pays et revent presque toujours du jour ou ils reviendront.
Dans le monde d'internet du du village mondial tout le monde se trouve partout, il est temps de changer de regard et d'accepter ceux dont la vie les a amener a vivre ailleurs. Ils sont toujours israeliens, leur avis est important, ecoute et estime. J'irais jusqu'a dire : laissez les voter ! Nombre d'entre-eux ont grandi en Israel, ont fait leur service militaire, donner au pays le meilleur d'eux-memes et leurs meilleures annees. La communication et l'implication renforcera leur sentiment d'appartenance et les liens, et qui sait, peut-etre qu'un jour c'est ce qui les fera revenir a la maison.
Les enfants te repondront en anglais, toujours en anglais
Aux israeliens qui vivent a l'etranger, particulierement a ceux qui hesitent au debut de leur aventure, je veux dire : la culture et les liens sentimentaux que tu developpes pendant l'enfance et l'adolescence ne changeront jamais pour d'autres. Israel a ete et restera ta maison car il n'y en a pas d'autre. Elle n'est peut-etre pas flamboyante, elle n'a pas de fjords et de monts enneiges, il n'y a pas de gens qui disent "excuse me" tout le temps comme dans le grand monde, mais c'est a toi, et il y a la-bas une jeunesse extraordinaire et une ame, et des gens qui se soucient de toi. Il y a la culture, la poesie et la Knesset qui se reunit tous les vendredis apres le basket, et les 'rikoudei am', et il y a des filles qui te comprennent toi et sa sagesse comme nul part ailleurs et dans aucune autre langue sans que tu ais a te casser les dents, et encore plein d'autres choses qu'aucun argent ne pourra jamais acheter.
Si tu es arrive ici il y a quelques annees et que tu hesites, saches que ton temps est compte. C'est peut-etre la derniere annee que tu peux encore changer d'avis, emballer tes affaires et rentrer a la maison. Tu as plus ou moins une annee parce que pour l'instant tu n'as que tes manques, ta nostalgie, et ton appartement en location ! La decision : tu remballes, tu montes dans l'avion et te voila de retour a la maison ! Mais dans un an, ou quelque chose comme ca, ce sera toi et ta femme qui sera surement israelienne, et alors le credit maison, et ton affaire que tu ne peux abandonner, et LES ENFANTS ! Eux ils n'auront deja plus d'endroit ou revenir. Ils aimeront New York, Los Angeles ou Vancouver. Ils te regarderont comme un extraterrestre quand tu commenceras a parler avec nostalgie de l'armee, de tes amis, de la promenade de Tel-Aviv, et des chansons extraordinaires de la radio israelienne. Et ils te repondront en anglais,toujours en anglais, peu importe combien tu parleras hebreu avec eux. Et tres vite tu decouvriras que tu es seul avec ta nostalgie, comme ca, pour l'eternite, jusqu'a ce que tu soit vieux et que tu meurs, a moins que la senilite te sauve d'ici la.
Alors si tu hesites vraiment, laisses tomber les fausses excuses pour faire taire ta conscience : la vieille qui te pousse dans la file, les milouim, les taxes, Netanyahu et les religieux, ils passeront avant meme que tu t'en rendes compte. Fais tes valises avant de trouver quelqu'un(e) avec laquelle tu devras te disputer pour partir et perdre le combat. Tu ne me crois pas ? Regardes moi, c'est toi dans vingt ans, avec quatre enfants, et des chances de revenir a la maison equivalentes a zero.
Shana tova a tout le peuple d'Israel ou qu'il soit
Giora Gripel, age de 54 ans, marie et pere de 4 enfants, est proprietaire d'une societe de conseils technologiques et de developpements de biens. Il habite dans le New Jerzey, aux Etats-Unis. Pendant son temps libre il joue du piano, ecrit des chansons et des poemes.
Traduit de l'hebreu, avec grand plaisir, par david Goldstein pour Haabir-haisraeli