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Des fouilles menées ces dernières années ont permis de découvrir nombre de sites juifs en France et dans toute l'Europe



Mosaïque représentant le chandelier à sept branches sur le site d'une synagogue antique à Saranda (Albanie)
Des découvertes qui témoignent de l'importance présence juive de l’Antiquité à la fin du Moyen-Age sur le Vieux continent. Cette présence n'en demeure pas moins fort mal connue du grand public.

L’archéologie vient ainsi fournir des données nouvelles pour une meilleure connaissance du judaïsme européen. Et de son histoire.

Un colloque international s’est récemment tenu à Paris sur ces découvertes, à l’initiative du Musée d’art et d’histoire du judaïsme, et de l’Institut national de recherches archéologiques (INRAP).


Pour Paul Salmona, directeur du développement culturel et de la communication de l’INRAP (voir interview), il existe un « déni collectif » vis-à-vis de l’histoire des communautés juives médiévales en France. A ses yeux, l’archéologie peut ainsi « remettre en cause le fantasme d’une France historiquement chrétienne et homogène ».

De tels propos suscitent des réserves chez certains des chercheurs qui travaillent sur le sujet. « Il est évident que les découvertes récentes de l’archéologie ont des conséquences tangibles et formidables pour la recherche », explique l’un d’entre eux. « Pour autant, on ne peut pas balayer d’un revers de main les travaux menés depuis 40 ans. Certes, ces travaux sont restés un peu confidentiels et ne sont pas suffisamment relayés par la grande presse, les grandes synthèses historiques ou les manuels scolaires d'histoire. Mais l’important, pour reprendre le titre d'un beau livre de Georges Duby, c’est que 'L'Histoire continue' !  » (1).


Et l’histoire des communautés juives sur le sol de la vieille Europe est passionnante. On lira avec grand intérêt les entretiens que nous ont accordés deux spécialistes : Mireille Hadas-Lebel (université Paris IV) pour la période antique, et Danièle Iancu-Agou (CNRS, "Nouvelle Gallia Judaica", Montpellier, UMR 8584) pour la période médiévale. Une remontée dans le temps qui en surprendra plus d’un…

(1) publié chez Odile Jacob en 1991

Gravure tirée de "L'histoire des juifs en Suisse" (1768) représentant une inhumation (DR)

Les juifs en Europe dans l'Antiquité

Entretien avec Mireille Hadas-Lebel,  professeure à Paris IV et spécialiste de l'histoire du judaïsme dans le monde antique. Elle a récemment écrit "Rome, la Judée et les Juifs" (Picard, 2009)



Pourquoi la présence juive en Europe de l’Antiquité à la fin du Moyen-Age est elle aussi mal connue ? Peut-on parler, comme le font certains, d’une « réécriture strictement chrétienne de l’Histoire » ?

On connaît certains vestiges depuis très longtemps. Dans le même temps, on n’a pas forcément cherché à en découvrir davantage. Pourtant, les traces existent : il y a ainsi des rues aux Juifs un peu partout en France et en Europe.

D’une manière générale, l’histoire des communautés juives est bien connue des spécialistes. Mais elle ne l’est pas forcément du grand public, même si les choses commencent à changer grâce au travail d’institutions comme le Musée d’art et d’histoire du judaïsme ou d’équipes comme la Nouvelle Gallia Judaica animée par Danièle Iancu-Agou, du CNRS. La situation évolue aussi grâce à l’action de l’archéologie préventive et de l’INRAP qui ont permis de faire de nombreuses découvertes au cours des 20 dernières années. Précisons au passage que les monuments et les objets juifs que l’on exhume aujourd’hui remontent, pour la plupart, à l’époque médiévale.

Pour autant, le passé juif a-t-il été occulté ? Je pense que les choses sont plus compliquées. Pour l’historien du Moyen-Age, l’aspect juif est négligeable car les juifs ne sont pas à cette époque des acteurs de l’Histoire. Il dispose de très peu de documents sur ce passé. Et quand ceux-ci existent, ils sont souvent en hébreu, langue que les spécialistes ne dominent généralement pas.
 

La synagogue antique (VIe siècle de notre ère ?) d'Anchiasmos, l'actuelle Saranda en Albanie (Etleva Nalbani - Ecole française de Rome)


A quand remontent les premières traces des communautés juives en Europe ?

Il n’est pas inutile de préciser l’étymologie du terme « juif ». Il vient du mot latin Judaeus qui renvoie à une origine géographique (Jérusalem et les montagnes de Judée), à un cadre politique (le royaume de Judée), puis à une religion, le judaïsme. Les communautés juives d’Europe correspondent à cette troisième définition. La diaspora européenne est composée de descendants d’habitants de Judée, de personnes venues de diasporas orientales plus anciennes (Asie mineure, Egypte et Syrie) et de convertis au judaïsme, des « prosélytes » au sens étymologique du terme. A ce niveau, il faut insister sur l’importance des prosélytes : à Rome, nombreux sont ceux qui se sont convertis au judaïsme.

Chronologiquement, c’est en Méditerranée orientale que l’on retrouve les premières traces de présence juive. On a ainsi identifié sur l’île grecque de Délos ce qui semble être une synagogue datant du IIe siècle avant notre ère. Les communautés se répartissent ensuite tout autour du bassin méditerranéen avec l’avènement de l’empire romain. Il s’agit de populations parlant grec, comme par exemple l’importante communauté d’Alexandrie en Egypte. On connaît leur existence notamment par les Actes des apôtres qui évoquent les prédications de de Paul de Tarse (saint Paul pour les Chrétiens, né en 10 de notre ère) dans les synagogues de Grèce et d’Asie mineure.

La diaspora est donc ensuite partie vers la Méditerranée occidentale…

On trouve les traces les plus importantes en Italie, notamment à Rome, dans les premiers siècles de notre ère. Certaines estimations évaluent à 50.000 le nombre de juifs habitant au Ier siècle dans la capitale de l’Empire. Soit 10 % de la population !

Les écrits latins témoignent de cette présence. Le célèbre Cicéron se plaint qu’en 59 avant notre ère, l’une de ses plaidoiries sur le Forum ait été perturbée par des personnes de confession juive. L’orateur était intervenu pour défendre un gouverneur d’Asie accusé de malversations à qui les manifestants reprochaient d’avoir empêché l’acheminement à Jérusalem de leur contribution au Temple. Et jusqu’au II siècle de notre ère, certains auteurs satiriques, comme Juvénal, présentent les juifs comme des mendiants ou des diseuses de bonne aventure.

Fresque de la catacombe de la villa Torlonia à Rome (L. Arletti, Surintendance archéologique de Rome)

L’influence du judaïsme se fait surtout sentir au Ier siècle. A cette époque, les Romains se mettent parfois à observer le repos du Shabbat et la semaine de sept jours qui en découle.

Nombre de juifs installés dans la ville étaient alors probablement des réfugiés, dans certains cas des esclaves affranchis. Ils avaient quitté l’Orient et la province romaine de Judée à la suite des guerres et des massacres liés notamment à trois révoltes durement réprimées (66-73 de notre ère, 115-117, 132-135).


Par la suite, entre le II et le Ve siècle, on a retrouvé des traces des communautés juives grâce aux inscriptions, notamment celles de six catacombes retrouvées à Rome entre 1602 et 1919. 75 % de ces inscriptions funéraires sont en grec, 23 % en latin et 2 % en hébreu. Elles sont souvent accompagnées du motif du chandelier à sept branches du Temple de Jérusalem, la menora. Celui-ci peut s’interpréter comme une marque de fidélité au Temple mais aussi comme le symbole de la lumière promise aux justes dans un monde futur.

A cette époque, l’étoile de David n’était donc pas le symbole du judaïsme ?

Elle ne le deviendra qu’au début du XIXe siècle, quand les communautés seront autorisées à construire des synagogues. Leurs responsables chercheront alors un symbole géométrique, déjà connu à l’extérieur du judaïsme, pouvant faire pendant à la croix chrétienne.

Vous avez parlé de la présence juive à Rome. Qu’en est-il en France et dans le reste de l’Europe ?

Les communautés ont essaimé à partir de l’Italie, et de ses ports. Sur le territoire de la Gaule, les premiers vestiges archéologiques d’une présence juive remontent aux premiers siècles de notre ère. On a ainsi retrouvé une épitaphe du IIe siècle à Antibes et une lampe à huile du IIIe, décorée d’une menora, près de Cognac. Pour le reste, les autres témoignages sont plus tardifs. A Narbonne, par exemple, on a découvert une inscription, datant de 688, en latin, avec quelques mots en hébreu. Elle porte la signature d’un certain Paragorus, un nom grec latinisé, et évoque la perte de trois enfants, morts en même temps, peut-être lors d’une épidémie.
 

Pierre gravée avec un chandelier à 7 branches découvert sur le site d'une synagogue antique découvert près de Nazareth en Israël (AFP - HO - Israël Antiquities Authority)


Et qu’en est-il ailleurs qu’en Gaule ?

C’est un peu la même chose. Les premières traces tangibles remontent au IIIe et surtout au IVe siècle de notre ère, notamment en Espagne, territoire très tôt christianisé.

Les populations juives de l’Antiquité ont-elles subi de nombreuses persécutions ?

Il y a eu des expulsions, comme à Rome sous Tibère en l’an 19 de notre ère. C’est alors que des jeunes juifs furent envoyés dans les mines de sel de Sardaigne où ils moururent en nombre. Mais on ne peut pas parler d’antisémitisme : l’idée de race est totalement absente de l’Antiquité. Sous l’empire chrétien (IVe siècle), il faut plutôt évoquer des rivalités entre religions juive et chrétienne, qui pouvaient, c’est vrai, prendre des accès terribles et ont conduit à une législation discriminatoire contre les juifs.

Des rivalités ?

J’évoquais ainsi tout à l’heure la fréquence des conversions à la religion juive, bien attestées au Ie siècle, et encore au IIIe. Dans le Talmud, il est dit que « le peuple juif n’a été dispersé que pour faire des prosélytes ».

L’existence de ces rivalités apparaît dans les nombreux traités contre les juifs rédigés par les pères de l’Eglise et dans les décisions des conciles. Comme celui qui s’est tenu en 303 à Elvire (Espagne). Les décisions de ce concile fournissent d’ailleurs a contrario un précieux témoignage sur les bonnes relations de voisinage entre juifs et chrétiens. Il rappelle l’interdiction faite à ces derniers de donner une jeune fille en mariage à un juif ou un hérétique, de manger à la même table qu’un juif. Ou d’accepter la bénédiction des juifs sur les récoltes.
 

Stèle funéraire du cimetière juif karaïte de Chufut Qualeh en Crimée (Artème Fédortchouk)


Les juifs de France au Moyen Age

Danièle Iancu-Agou est directeur de recherches au CNRS (Montpellier, UMR 8584). Elle anime l'équipe de la Nouvelle Gallia Judaica.

Mikvé (bain traditionnel), découvert à Cavaillon (Vaucluse) (François Guyonnet - service archéologique du département du Vaucluse)


Dans votre contribution au colloque « Archéologie du judaïsme en France et en Europe », vous évoquez une « activation de la mémoire collective » vis-à-vis de l’histoire de la présence juive en France ? Pourquoi ce phénomène se produit-il maintenant ?

Des traces, comme ces « rues de la Juiverie » ou « rues des Juifs » que l’on trouve un peu partout dans l’Hexagone, rappellent cette présence. Mais le phénomène proprement dit a notamment été enclenché par de récentes découvertes comme celle du fameux bain rituel (mikvé) médiéval de Montpellier, qui remonte au XIIe siècle. D’autres communes souhaiteraient, elles aussi, trouver sur leur territoire de tels monuments qui enrichissent leurs ressources sur le plan culturel, et naturellement sur le plan touristique.

Aujourd’hui, les connaissances sur les communautés juives circulent davantage. Il y a encore 40 ans, elles restaient concentrées dans des cercles restreints d’érudits locaux et d’historiens. Mais elles existaient : il n’y a qu’à se référer à l’ouvrage de référence Art et archéologie des juifs en France médiévale (1), sorti en 1980. Il faut aussi mentionner le soutien du grand médiéviste Georges Duby aux chercheurs de son « école provençale », avec la direction de multiples travaux sur les juifs de Provence, accompagnée de préfaces.

Dans ce contexte, la découverte en 1976, sous le palais de justice de Rouen, d’un monument juif remontant au début du XIIe, le plus vieux du genre en Europe, a fait école. L’interprétation de ce monument a fait couler beaucoup d’encre (2). Outre que ce dossier a apporté de précieux enseignements sur la riche histoire du judaïsme normand et a suscité des recherches, la grande presse en a parlé. Dans le même temps, les vestiges des régions où il y a eu une présence juive sur la longue durée comme dans le Comtat Venaissin (synagogues comtadines) ou l’Alsace-Lorraine, déjà répertoriés, ont été restaurés et valorisés.

Quelles sont les grandes périodes de cette histoire ?

Dessin représentant Rachi, célèbre rabbin champenois, qui a vécu à Troyes au XI siècle (AFP-19-9-2005)

On pourrait évoquer les riches heures du judaïsme champenois au XIe siècle avec Rachi, le rabbin de Troyes, connu pour ses commentaires sur la Bible et le Talmud. Il est à l’origine d’une école célèbre, celle des tossafistes.

Au XIIe et jusqu’en 1306, date du décret d’expulsion signé par Philippe Le Bel, le Midi de la France (incluant Roussillon, Languedoc, Provence, Comtat Venaissin, c'est-à-dire une région s’étendant de Perpignan à Nice : la large Provintzia des textes hébraïques), a été lui aussi un brillant foyer de culture juive (notamment pour la médecine, la philosophie), dans des villes comme Perpignan, Lunel, Montpellier, Arles, Marseille, Avignon). Un foyer activé en 1140 par l’arrivée en Languedoc de juifs andalous chassés par les Almohades, adeptes d’un Islam rigoriste.

Les membres d’une grande famille de médecins-lettrés, celle des Ibn Tibbon dits « Tibbonides », ont ainsi traduit toute une série d’ouvrages philosophiques et scientifiques : ceux du grand médecin-philosophe Moïse Maïmonide, qui tentait de concilier foi et raison, mais aussi ceux d’Aristote, d’Averroès, Avicenne, etc… Dans le même temps, d’importantes, et parfois, violentes disputes doctrinales ont eu lieu au sein de ces communautés, entre libéraux et conservateurs, soucieux de l’intégrité de la religion et de la tradition juives. En 1230, on aurait même été jusqu’à détruire certains passages de l’œuvre de Maïmonide !

L’expulsion de 1306 a mis fin à ce bouillonnement intellectuel. On possède à ce propos des témoignages douloureux de lettrés de Montpellier (ou de Béziers) pleurant leur « petite Jérusalem ».

Pourquoi Philippe Le Bel a-t-il décidé cette expulsion ?

Il l’a fait surtout pour des raisons financières. Il s’agissait autant de remplir les caisses royales, de confisquer les biens des juifs que d’asseoir le pouvoir royal.

Tout au long du XIVe, les communautés seront maintes fois rappelées (les retours seront lourdement monnayés) et à nouveau expulsées. Le dernier arrêt d’expulsion est signé en 1394 par Charles VI, dit le fou, qui entendait réaliser l’unité religieuse de son royaume. Par la suite, les juifs ne pourront pas revenir en France avant la Révolution ! A noter que les anciens Comtés de Roussillon Cerdagne, de Provence, la Principauté d’Orange, conserveront encore leur minorité juive durant un siècle supplémentaire, respectivement jusqu’en 1493, 1501, 1505.

Peut-on estimer le nombre des membres de la communauté
juive avant ces expulsions ? On a parlé de 100.000 personnes à la fin du XIIIe…

Stèle funéraire, datée de 1286 et trouvée à Bourges dans les ruines d'un moulin médiéval (Philippe Blanchard - INRAP)

Est en effet généralement avancé le chiffre de 100.000 expulsés à la suite de l’arrêt royal de 1306 (la population juive dans le royaume de France, de la fin du XIIIe au début du XIVe, aurait oscillé entre 45.000 et 125.000 personnes). Dans le comté de Provence, région que j’ai étudiée, on estime qu’à son âge d’or au début du XIVe, donc avant la Grande peste de 1348, la communauté juive comptait environ 12.000 membres.

Les difficultés de cette communauté ont commencé après 1348. Des émeutes antijuives, notamment à Toulon et en Haute-Provence, se sont greffées sur l’épidémie, les juifs étant accusés d’être responsables des maux ambiants.

Peut-on parler d’antisémitisme au Moyen-Age ?

Le terme n’apparaîtra qu’au XIXe siècle. Il faut plutôt parler d’antijudaïsme. Au départ, les juifs ne vivaient pas dans des quartiers clos, même s’ils aimaient se regrouper pour des raisons communautaires, sans pour autant exclure le voisinage chrétien. Ils pouvaient ainsi disposer des installations nécessaires pour la pratique de la religion (synagogue, bain rituel, boucherie…) et pour la vie sociale (hôpital, œuvres caritatives, etc.…). La relégation obligatoire dans un quartier donné a commencé à se mettre progressivement en place dans la seconde moitié du XIIe. A noter que la législation a fluctué selon les lieux et fut plus durement appliquée au nord qu’au sud de la Loire où elle sera plus tardive, consécutive en général à 1348. Les ghettos, quartiers rigoureusement clos, n’apparaîtront vraiment qu’à la Renaissance (Comtat Venaissin, Italie).

Pour autant, la situation des juifs avait commencé à se gâter dès les croisades, à la fin du XIe. Pierre Le Vénérable, abbé de Cluny, fut ainsi un ennemi acharné des juifs (il demandait pourquoi il fallait aller combattre les infidèles en Terre sainte alors qu’on avait à portée de main une population jugée « déicide »). En revanche, le fondateur de la fameuse abbaye, Bernard de Clairvaux, en fut un ardent défenseur. A cette époque, de terribles massacres ont eu lieu dans la vallée du Rhin.

En 1215, le Concile de Latran instaure tout un appareil restrictif. Il impose ainsi aux juifs un signe distinctif, la fameuse rouelle: les juifs doivent alors porter un morceau d’étoffe (de couleur variable selon les lieux) sur leurs vêtements (à noter que le port d’un vêtement distinctif est né en terre d’Islam). Il est par ailleurs interdit aux chrétiens de louer les services de nourrices juives. Dans le même temps, les médecins juifs ne peuvent pas soigner des chrétiens (et inversement). Pour autant, cette dernière mesure n’a pas été respectée en raison de la compétence reconnue de ces soignants. Ainsi en Provence, les plus hautes autorités politiques et religieuses ont eu recours aux praticiens juifs (par exemple au XVe siècle le roi René, l’archevêque Robert Damiani, le couvent des Dominicaines) en dépit de la législation conciliaire de cette époque.

(1) Livre écrit par Bernhard Blumenkranz, Privat
(2) Plusieurs théories s’affrontent pour l’interpréter : synagogue, école rabbinique, habitation ?


Les juifs de France, oubliés de l'Histoire ?

Paul Salmona est directeur du développement culturel à l'INRAP. Il est co-organisateur du colloque "Archéologie du judaïsme en France et en Europe" avec Laurence Sigal, Sigal-Klagsbald, directrice du Musée d’art et d’histoire du judaïsme. Colloque qui s'est tenu à au Musée les 14 et 15 janvier 2010.


Dans une récente tribune du Monde, vous estimez qu’il y aurait un « déni collectif » vis-à-vis de l’histoire des communautés juives médiévales en France. Pourquoi ?

Assiette en faïence, trouvée dans les fouilles... d'une latrine rue Elie-Bloch à Metz (Franck Verdelet - INRAP)

De par mes fonctions à l’INRAP, je suis tombé ces dernières années sur de nombreux dossiers de fouilles, principalement préventives, qui mettent au jour ou approfondissent la connaissance de sites du judaïsme médiéval : à Cavaillon, Châlons-en-Champagne, Châteauroux, à Ennezat (Puy-de-Dôme), Lagny (Seine-et-Marne), Montpellier, Metz, Orléans, Rouen, Saint-Paul-Trois-Châteaux (Drôme), à Trets (Bouches-du-Rhône)… Le domaine est peu documenté en archéologie, l’ouvrage de référence de Bernhardt Blumenkranz datant déjà de 1980. Avec Laurence Sigal-Klagsbald, directrice du Musée d’art et d’histoire du judaïsme, l’idée a alors germé d’une approche globale de ces recherches et d’un colloque, notamment pour sensibiliser les archéologues à l’importance de ce domaine.

En le préparant, nous nous sommes demandé pourquoi l’histoire des communautés juives médiévales est aussi peu présente dans l’histoire de France. Par comparaison, en Espagne, celle de la présence juive est beaucoup mieux assumée par la nation : l’expulsion de 1492 y est une date charnière. D’une manière générale, la question y est beaucoup mieux prise en compte, de nombreux sites sont mis en valeur comme à Tolède, Barcelone, Gérone ou Cordoue, mais aussi dans de petites villes comme Lucena, en Andalousie.

Et en France ?

Les juifs ont été nombreux jusqu’aux expulsions de 1182, 1306, 1322 et 1394  (1501 en Provence). Une communauté a continué  à vivre sous la protection papale dans le Comtat-Venaissin. A Bayonne et Bordeaux réapparaissent, à partir du XVIe  siècle, des juifs chassés d’Espagne et du Portugal. Une dérogation leur sera accordée à Metz, où une communauté reviendra dans la ville pour les fournitures aux armées. Pour le reste de la France, il faut attendre 1791 et l’émancipation des juifs par la Constituante pour qu’ils retrouvent droit de cité dans l’ensemble de notre pays.

Les recherches universitaires dans l’Hexagone ont produit des connaissances importantes, notamment sous l’égide dela Nouvelle Gallia Judaica (CNRS) (1). Mais ces travaux sont mal connus du public. Leurs résultats sont absents des manuels scolaires. Et sont souvent « zappés » dans les ouvrages généraux d’« histoire de France », même les plus volumineux. Regardez, par ailleurs, deux récentes expositions du Louvre consacrées au Moyen Age : « Paris 1400 : les arts sous Charles VI » en 2004, et « La France romane au temps des  premiers Capétiens (987-1152) » en 2005. Elles ne présentaient aucun objet juif ! Pourtant, ils existent : la Bibliothèque nationale de France, par exemple, conserve de somptueux manuscrits hébraïques. Dans ces deux expositions, il n’est de France médiévale que chrétienne…
 

Ouvrage liturgique du XIVe à la biblitohèque de Sélestat en Alsace (AFP PHOTO / PATRICK HERTZOG)


Les communautés juives au Moyen Age ont pu compter jusqu’à 100.000 âmes à la fin du XIIe   siècle. Elles ont abrité en leur sein des personnalités aussi prestigieuses que le rabbin troyen Rachi (un Champenois !), célèbre pour ses commentaires de la Bible et du Talmud. Rachi a rassemblé un thésaurus de 5 000 mots qui constitue le premier témoignage de l’ancien français, bien avant celui de son compatriote Chrétien de Troyes !

Quelle conclusion en tirez-vous ?

Que dans l’histoire de France, encore aujourd’hui, les juifs du Moyen Age ne sont toujours pas considérés comme ayant appartenu à la communauté nationale, même si cette notion est bien évidemment anachronique. Leur expulsion devrait être abordée comme un évènement majeur, aussi important que la croisade des Albigeois ou la révocation de l’édit de Nantes…


Le brûlement du Talmud à Paris en 1242 sous Louis IX (Saint Louis !) est un autodafé d’une violence symbolique inouïe, témoin de l’émergence d’une intolérance nouvelle. Un évènement qui devrait être un jalon de notre histoire culturelle, aussi sinistre en soit le souvenir !

Dans les ouvrages généraux d’histoire, même les plus récents, la présence de ces communautés n’est abordée qu’a travers les lieux communs comme leur rôle dans le crédit ou à travers les massacres qu’elles ont subi lors de peste de 1348. Rien sur leur dispersion sur le territoire (on retrouve des traces de leur présence jusque dans la toponymie de petits bourgs ruraux), rien sur leur insertion dans la société médiévale, rien sur la grande école talmudique champenoise, rien sur le foisonnement scientifique languedocien…

Plaque apposée rue Louis Caron (ancienne rue aux Juifs) à Fécamp (Seine-Maritime) (DR)


Exemple de lieux communs et de représentations approximatives : le texte d’une plaque commémorative apposée à Fécamp (Seine-Maritime), dans la rue Louis Caron, ancienne rue aux Juifs. Je cite : « Rue aux Juifs - Au Moyen Age, à travers l’Europe, la population juive en exil vit à l’extérieur du centre-ville (réservé aux catholiques)». Si l’on en croit cette plaque, les juifs seraient « en exil » alors qu’on retrouve leurs traces en France depuis l’Antiquité. Ils auraient vécu « à l’extérieur du centre-ville réservée aux catholiques ». Rien n’est plus erroné ! Comme on le sait et comme le rappellent les fouilles, les quartiers juifs étaient toujours installés à l’intérieur des quartiers les plus anciens des villes. Et on trouve de telles juiveries dans presque toutes les cités médiévales jusqu’à l’expulsion de 1394. De plus, à l’époque, on ne peut pas encore parler de catholicisme, la Réforme n’ayant pas encore eu lieu… 

Comment expliquez-vous cette situation ?

Je n’ai pas de réponse. Les juifs médiévaux (et les autres minorités) collent mal avec le « roman national » d’une France admirable, déjà en devenir dans la Gaule, avec ses grandes heures et ses figures emblématiques – Clovis, Charles Martel, Saint Louis, Jeanne d’Arc, Bayard… – dont le Lavisse fournit l’archétype. C’est la thèse de l’historienne Suzanne Citron dans son ouvrage « Le Mythe national » (2).

Ce qui est incompréhensible, c’est qu’aujourd’hui encore nombre d’historiens fassent l’impasse sur cette question, qui reste affaire de spécialistes. Apparemment, ils connaissent mal l’existence de cette présence juive médiévale. Par conséquent, ils ne lui attribuent pas d’importance et ne la prennent pas en compte dans leurs travaux. Ce qui, au bout de la chaîne, entretient l’ignorance…

 

Assiette découverte dans les fouilles de latrines, rue Elie-Bloch à Metz (Franck Verdelet, INRAP)

En mettant au jour de très nombreux sites du judaïsme médiéval, l’archéologie vient prolonger les travaux des historiens et provoque un véritable « retour du refoulé ». Elle rappelle un passé occulté dans la mémoire collective. Elle inscrit de façon concrète cette présence disparue dans l’espace urbain (synagogues, bains rituels, quartiers…). Elle peut ainsi contribuer à réinscrire l’histoire juive dans l’histoire de France et remettre en cause le fantasme d’une France historiquement chrétienne et homogène.

(1) Voir l’interview de Danièle Iancu-Agou
(2) « Le Mythe national. L'Histoire de France revisitée ». Les Éditions de l’Atelier (2008)

Tag(s) : #Culture
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